Maître Rémy Josseaume, président de l’Automobile-club des avocats, dénonce un système répressif où l’automobiliste est systématiquement perdant. Lors du colloque de la Ligue de Défense des Conducteurs en mars 2024, ce spécialiste du droit routier s’est élevé contre cette politique où, selon lui, l’argent prime sur la justice. Son analyse ainsi rejoint la nôtre : la sécurité routière est devenue une machine à sanctionner.
Vous suivez de près l’évolution des infractions routières depuis des années. Comment le profil des conducteurs verbalisés a-t-il évolué, et que révèle-t-il sur la gestion actuelle de la sécurité routière ?
Cela fait à peu près vingt-cinq ans que je côtoie au quotidien des délinquants de la route. J’ai vu le profil des délinquants changer. Aujourd’hui, c’est Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Peu importe la catégorie socio-professionnelle dans laquelle exerce la personne. Tout le monde est concerné et pour rebondir sur ce que pensait Bernard Darniche… Il ne l’a pas dit mais il l’a pensé très fort : je pense au mot de « bureaucratisation » de la sécurité routière.
Vous avez été sollicité par des parlementaires pour contester les 80 km/h devant le Conseil d’État. Comment une telle mesure a-t-elle pu être imposée sans réel débat parlementaire ?
J’ai eu l’honneur de défendre, à la demande de 62 députés et sénateurs, le recours devant le Conseil d’État contre les 80 km/h il y a quelques années. Un parlementaire s’interrogeait : « Comment est-ce possible qu’un homme, soit-il extrêmement important, puisse décider dans son bureau de modifier la vitesse sur l’ensemble du territoire français ? » Ma première réponse à ce député, ça a été : « C’est votre faute. Parce que depuis 2003, vous avez délégué votre compétence. » Aujourd’hui, le Code de la route, c’est une partie législative, une partie réglementaire. Mais la partie réglementaire, qui est de la compétence exclusive des pouvoirs publics, de l’administration centrale, cette partie-là enfle de manière exponentielle et la vitesse fait partie des mesures que seul le gouvernement peut modifier. Le législateur a un peu repris la main avec la loi LOM (loi d’orientation des mobilités de fin 2019, note de la LDC) pour permettre de modifier la législation. Mais il y a, il faut le dire, aujourd’hui, une délégation (et ça continue encore, dans les textes de loi), vous avez une liste d’infractions qui est fixée par décret en Conseil d’État. C’est-à-dire que le législateur ne prend même plus la peine de lister les infractions qui sont concernées par les lois qu’il vote. Il délègue tout ça aux pouvoirs publics.
Comment expliquez-vous que la répression routière soit devenue aussi sévère ?
En tant que praticien du droit routier, je constate tous les jours qu’il vaut mieux être un délinquant de droit commun qu’un délinquant routier devant un tribunal. Souvent, quand je plaide des dossiers pour des gens qui sont alcoolisés, ou sous stupéfiants, ou qui ont roulé un peu trop vite, eux vont connaître un arsenal de répression qui est automatisé, la plupart du temps, qui est dérogatoire aux grands principes du droit, avec une multitude de peines. L’autre jour, j’expliquais à un magistrat que pour mon client, qui allait être condamné, le procureur demandait l’application de cinq peines pour un seul et même fait. Alors qu’un délinquant de droit commun, qui va porter atteinte à l’intégrité physique de quelqu’un, lui, n’encourt, la plupart du temps, qu’une, voire deux peines. Et encore, quand celles-ci sont prononcées et encore, quand celles-ci sont même exécutées.
Quelles sont les évolutions les plus préoccupantes en matière d’infractions routières ces dernières années ?
Je veux vous sensibiliser à une donnée importante. En 2023, en termes de sanctions recensées devant les tribunaux, on a plus condamné les gens pour des stupéfiants au volant que pour de l’alcool au volant. Les stupéfiants sont un vrai problème de société, avec le téléphone évidemment car ce sont deux comportements qu’on constate de plus en plus. Aujourd’hui, dans 80 % des dossiers que je traite, au départ on m’appelle pour de l’alcool et de la vitesse et à la fin, la personne m’explique aussi qu’elle est positive aux stupéfiants. Comme si c’était normal. Ça, c’est une donnée qui est extrêmement inquiétante. Ça fait dix ans qu’il n’y a plus d’évolution en matière de sécurité routière. On a tout axé sur la vitesse.
Pourquoi les experts du droit routier comme vous ne sont-ils jamais consultés lors de l’élaboration des politiques de sécurité routière ?
Car c’est un problème technique, régalien et donc, tout ce qui pourrait venir aider l’automobiliste, on va essayer de l’évacuer. Parce qu’aussi, derrière, il y a des lignes budgétaires. Il y a près de 1 milliard d’euros de recettes fiscales chaque année. Oui, la sécurité routière coûte, mais en matière de santé publique, c’est peut-être la seule, avec le tabac, qui rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent.
Dans les départements revenus aux 90 km/h, aucune hausse des accidents n’a été constatée. Pourquoi ce constat ne suffit-il pas à apaiser le débat ?
Effectivement, dans les départements où la vitesse est repassée à 90 km/h par exemple, on n’a pas vu une augmentation d’accidents. On a mis une pression invraisemblable sur les élus locaux. On a dit aux présidents de département « Si vous repassez à 90, on vous poursuivra en justice parce que vous serez complices – de quoi, je ne sais pas – de morts, d’accidents sur la route. » Or, les seuls recours qui ont prospéré, ce sont ceux où les collectivités n’ont pas respecté les conditions de forme pour le basculement aux 90 km/h, comme le comité consultatif par exemple. Certains tribunaux se sont fait retoquer par les tribunaux administratifs mais globalement tout s’est très bien passé.
Note : pour rappel, la Ligue de Défense des Conducteurs a demandé à l’Automobile-club des avocats de rédiger une note juridique que nous avons envoyée à tous les présidents de département, pour les accompagner dans leurs démarches pour revenir à 90 km/h sur leurs routes.

