Quand les comportements dangereux sur la route sont célébrés par les réseaux sociaux

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Organisateur d’événements contribuant à sensibiliser le public à la sécurité à moto, Ludovic Da Mota, Directeur France de Stunt Organisation, est effaré par l’impact des vidéos montrant des comportements dangereux en deux-roues sur les plus jeunes… Il l’a d’ailleurs dénoncé lors du colloque organisé en 2024 à l’Assemblée nationale par la LDC. Ces propos sont à découvrir ci-dessous.

Pouvez-vous nous parler de la conduite des jeunes et de leur comportement au volant ?

Je suis en contact avec des jeunes tous les jours, parce que je suis en charge des réseaux sociaux et du digital du GARAC, qui est l’école nationale de l’automobile et de la mobilité. C’est plus de 1 400 jeunes que l’on forme tous les ans. Vu que j’évolue constamment à leurs côtés, je vois à peu près ce qu’ils consomment sur internet. Ce que j’ai pu remarquer, c’est que la part des réseaux sociaux a pris vraiment le dessus par rapport à la télévision. Ils sont très influencés. En bon comme en mauvais. Parfois, le côté mauvais peut prendre un peu le dessus sur leur comportement et notamment sur la sécurité routière.

Pouvez-vous expliquer le projet de loi qui a été étudié récemment à l’Assemblée nationale à propos des réseaux sociaux ? Fait-il référence à la sécurité routière ?

Il s’agit d’un code éthique. En gros, il cible tout ce qui concerne les jeux d’argent, la « malbouffe » et ce genre de contenus. Mais on n’y voit pas trop la partie sécurité routière ni le comportement sur la voie publique. Pourtant, je pense à ce Youtubeur qui a lancé un challenge avec des mineurs sur la voie publique, consistant à faire des « wheelings » (figure de cascade consistant à rouler sur la seule roue arrière avec un deux-roues, note de la LDC), car c’est un peu la mode chez les jeunes. Il a fait deux vidéos sans casque, avec des motos non homologuées et pas entretenues, qui ne sont pas destinées à circuler sur la voie publique. La première vidéo a atteint 600 000 vues, elle a très bien marché, donc il a recommencé, vu que ça rapporte de l’argent. Sa deuxième vidéo a fait 1 million de vues. Il est maintenant suivi par plus de 650 000 personnes. J’ai pu analyser un peu ses fans, c’est à 80 % des moins de 15 ans. Le compte est certifié par la plateforme Meta – Instagram. Pourtant, cette personne est passée par la case prison… Mais son compte est toujours actif.

Ce que vous craignez, c’est l’impact sur un public ultra jeune. On met sous leurs yeux des images de comportements totalement dangereux, proscrits par la loi, et rien n’est fait. Votre piste d’évolution, d’amélioration pour vous, c’est quoi ?

Dans la loi numérique, il faudrait que ce genre de comportements soit bloqué assez rapidement. On parle d’autres types de contenus qui sont parfois bloqués dans l’heure, eux, ce sont des comptes qui existent, depuis quatre ou cinq ans pour certains et ils ne rencontrent aucun problème.

Est-ce techniquement possible, avec un algorithme, de bloquer des vidéos de ce genre ?

L’algorithme se contente de reconnaître que c’est un comportement dangereux. Il ne va pas analyser s’il se déroule sur un circuit, sur une route ouverte ou autre. Mais on peut toujours signaler ces comptes. Par exemple, des associations l’ont fait, mais cela continue. Le problème c’est que la police ne fait rien.

Est-ce que cela peut concerner aussi les voitures ?

Cela concerne surtout les motos. On a tous vu des vidéos de motos qui roulent à des vitesses surréalistes sur les routes entre les voitures. J’ai même vu une moto qui, à un moment donné, a été percutée des deux côtés en même temps alors qu’elle roulait peut-être à 150 km/h plus vite que les deux voitures qu’elle doublait sur la voie centrale. Le type s’en sort miraculeusement. La vidéo a généré plus de 5 millions de vues. Plus elles sont vues, visionnées, plus l’algorithme va les mettre en avant même sans les analyser. L’objectif est que ça fasse le buzz.

Vous êtes en relation toute l’année avec des jeunes qui sont très sensibilisés au monde de l’automobile. Est-ce qu’ils jugent ce genre de comportements malsains ou pas ?

Nous, sur le campus, on a des jeunes qui vont de la seconde à l’ingénieur. Nous intervenons surtout auprès des secondes, car ils sont très jeunes et ce sont ceux qui consomment beaucoup ce genre de comportements. Ils trouvent ça cool. Les jeunes s’identifient à ce phénomène de mode.

Ils n’ont aucune notion du danger quand ils regardent ce genre de vidéos ?

Non, pour eux sortir sans casque, ce n’est pas un danger. Ce n’est pas un problème de vitesse, c’est juste ne pas savoir maîtriser un véhicule. On peut conduire sans casque à 30 km/h, chuter et en mourir ou avoir des séquelles à vie.

Ce que vous faites, vous, c’est que vous emmenez justement ces jeunes les plus mordus sur circuits.

Oui, auprès du GARAC, je fais de la prévention. Je leur montre des slides, des exemples d’accidents impliquant notamment des jeunes. Pour leur montrer la réalité. On essaie de faire passer un message. Parfois, nous invitons des pilotes pour essayer de faire de la prévention, mais c’est encore compliqué car on n’a pas énormément de lieux disponibles pour agir. Certaines municipalités nous ouvrent leurs portes. On essaie de leur montrer un cadre, de leur montrer les risques encourus. Vous pouvez être le meilleur pilote au monde, vous ne savez jamais ce qui arrive dans la rue. Un véhicule qui s’arrête, un enfant qui sort de nulle part. Vous pouvez être n’importe qui, j’échange même avec des cascadeurs professionnels, vous pouvez être le meilleur en pilotage, mais pour ce qui arrive sur la voie publique, personne n’est à l’abri.

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