Vous en avez forcément entendu parler : de nombreux automobilistes se plaignent de freinages subits et intempestifs opérés par leur véhicule alors qu’ils circulaient sereinement sur la route… Mais leurs témoignages ressemblent à autant de parcours de combattants, car ils pèsent bien peu face à des industriels très puissants, qui font tout pour ne jamais livrer leurs secrets maison.
« Tout va très bien, votre voiture fonctionne parfaitement. » C’est la réponse la plus fréquente des garagistes auxquels se plaignent les conducteurs victimes de freinages intempestifs (souvent appelés « freinages fantômes »). En tout cas, si l’on en croit la page Facebook lancée par Joanna Peyrache, une automobiliste elle-même victime du dysfonctionnement du freinage d’urgence de sa voiture. Faut-il en déduire que les 1 214 membres du collectif qu’elle a formé sont tous frappés d’hallucination ? Puisque les garagistes l’affirment ?
Sur la page de son réseau social, un témoignage plus expert remet pourtant en question ce déni de responsabilité. Son auteur : un ingénieur dans l’automobile, qui selon lui a contribué à la mise au point du système AEBS (« Automatic Emergency Braking System », autrement dit, le freinage automatique d’urgence), lequel est devenu obligatoire sur les véhicules neufs depuis juillet 2024, rappelons-le. Il explique : « J’ai moi-même constaté en usine des aberrations liées à l’interprétation des données entre les obstacles réels, ce que voit réellement la caméra et les données extraites. Il peut y avoir un temps de latence et une sorte de confusion dans l’interprétation de l’information. Malgré tout, les véhicules sortent des chaines et l’on compte sur les fameuses couches de mise à jour pour effacer les bugs. Une investigation s’impose sur ce côté précipité de la mise sur le marché ». C’est ce qui s’appelle mettre les pieds dans le plat…
Pas d’expertise indépendante possible
Conscient de la difficulté du combat qui s’annonce, le collectif français emmené par Joanna Peyrache a fait les choses dans le bon ordre. Il a déposé une pétition à l’Assemblée nationale « pour une enquête et une réforme du système de freinage automatique d’urgence ». Celle-ci a recueilli plus de 500 signatures à ce jour. Il a aussi suggéré une question écrite au député Romain Daubié (Les Démocrates), qui traite avec justesse de l’asymétrie d’informations entre l’automobiliste victime, qui manifestement n’a qu’un droit, celui de ne rien savoir, et les constructeurs qui réservent l’accès à leurs secrets et conclusions à leur propre sérail : « Pour prouver l’existence d’un défaut, le consommateur doit produire un rapport technique indépendant : cela suppose une expertise amiable, rarement acceptée […] Les données ne sont ni lisibles, ni accessibles directement par le consommateur […]. Elles sont le plus souvent verrouillées par des outils propriétés du constructeur, signifiant alors qu’en cas d’incident comme le freinage fantôme, le consommateur est incapable de produire la preuve du dysfonctionnement sans l’accord du constructeur ou sans engager une procédure judiciaire » détaille la question.
Ce mépris des droits essentiels des victimes et des lanceurs d’alertes n’est malheureusement pas une spécificité française. En effet, un article du Washington Post daté du 29 août 2025 raconte une histoire tout à fait symptomatique de cet état de fait. En 2019, un conducteur américain distrait avait tué une personne et blessé une autre lors d’une collision provoquée par sa Tesla Model S. L’Autopilot (pseudo-mode autonome de Tesla…) était enclenché, ce qui n’aurait pas dû être techniquement possible : l’Autopilot n’est censé fonctionner que sur les voies rapides. Si la distraction du chauffeur n’a jamais été remise en question, plus étrange a été le comportement de Tesla. La marque a soutenu ne pas être en mesure de fournir les données propres aux quelques secondes avant le crash. Celles-ci étaient donc indisponibles jusqu’à ce que la famille des plaignants fasse récemment appel à un hacker. Toujours selon le Washington Post, ce pirate informatique spécialiste des Tesla a mis quelques minutes à peine à extraire les données de la Model S litigieuse : le tout depuis la terrasse d’un Starbucks en sirotant un chocolat ! À la barre du tribunal et face à ces preuves irréfutables, Tesla a reconnu que la marque avait bel et bien les données en question sur ses serveurs depuis le début de l’histoire, soit depuis 2019. Pire même : un ingénieur maison a reconnu qu’un ordre de suppression des données embarquées sur la Model S avait été envoyé (mais n’avait pas abouti), ce qui constitue « une pratique standard pour Tesla lors de tels incidents », d’après l’intéressé. Tesla a été condamnée à 243 millions de dollars d’amende lors de ce procès, qui vient à peine de se tenir à Miami. Comme le quotidien américain le fait remarquer, ce n’est pas la première fois que Tesla est pris la main dans le sac pour « falsification de défauts de conception ». La question devient donc plus brûlante que jamais : comment les particuliers peuvent-ils prouver leur bonne foi face à des multinationales qui détiennent l’intégralité des secrets de fonctionnement de leurs propres machines ?
De notre côté, à la LDC, pas question d’initier un procès d’intention. Gageons que l’enquête française, menée par un service de l’État, a toutes les chances d’être dirigée indépendamment de toute pression. À ceci près que les moyens techniques d’essais mis à disposition sont vraisemblablement ceux de l’Utac (Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle)… Or, l’Utac est une structure privée (chargée d’établir la mise en conformité des véhicules avant qu’ils soient mis en circulation) dirigée par un ancien ingénieur motoriste de PSA, dont les clients incontournables s’appellent Renault, Peugeot, Citroën, etc. L’Utac sera-t-elle donc en capacité d’avouer qu’il y a un éventuel défaut de conception sur un système dont elle a peut-être elle-même contribué à la mise au point ? Autre question : ces fameuses ADAS (aides à la conduite) devenues obligatoires en 2024 sur tous les véhicules neufs, dont le freinage automatique d’urgence fait partie, ont été développées pour améliorer la sécurité des usagers. Comment tolérer que les conducteurs « finissent le travail », c’est-à-dire que leurs incidents – pour certains, traumatisants et à l’origine d’accidents corporels et matériels – servent à finaliser la mise au point de ces fonctions ? Une pratique aussi ancienne que l’automobile, certes, mais qui n’a jamais autant menacé notre sécurité sur les routes. À la LDC, nous ne laisserons pas faire

