Légende des rallyes et cofondateur du Pôle de prévention risques routiers, Bernard Darniche a marqué le colloque de la Ligue de Défense des Conducteurs à l’Assemblée nationale en mars 2024 par son franc-parler et son expertise. Pour lui, la politique actuelle de sécurité routière, centrée sur la répression et l’abaissement des vitesses, est inefficace. Il défend une vision exigeante et humaine de la mobilité, ce qu’il a appelé la « mobilité sereine et durable » lors de son intervention, que nous reproduisons ci-dessous.
Que pensez-vous de la politique d’abaissement généralisé des vitesses ?
Je suis certainement le plus vieux à avoir observé les pouvoirs publics par rapport à la répression routière. Tout a commencé dans les années 1970, lorsque Jacques Chirac m’a sollicité pour m’impliquer dans la sensibilisation des enfants à la sécurité routière. À l’époque, on m’assurait que les progrès des constructeurs automobiles et de la médecine d’urgence feraient mécaniquement baisser le nombre de victimes sur les routes. Une conviction qui, avec le recul, s’est révélée bien optimiste. Mais ce qui m’a marqué, c’est d’entendre en coulisses : « Monsieur le Président, nous avons là un dossier gagnant, quoi qu’il arrive dans les trente prochaines années. » Comme si la sécurité routière était devenue un outil politique, sans réelle volonté d’agir sur les causes profondes.
Il faut retenir une chose : l’endroit où on est autorisés à rouler le plus vite [les autoroutes, note de la LDC], c’est là où il y a le moins d’accidents. De temps en temps, il faudrait que ça percute, ça, quand même. De là à dire que les routes sur lesquelles on circule gratuitement, c’est là où on a le plus de risques, ce n’est pas la faute des automobilistes, mais celle des pouvoirs publics qui ne font pas leur travail.
Quel regard portez-vous sur l’état des routes en France ?
Moi, je fais du vélo, du scooter. Rouler à Paris en scooter, avec les trous et les bosses, c’est infernal. Je fais 12 000 kilomètres de vélo par an, j’ai la colonne vertébrale défoncée par l’état des routes. C’est totalement inacceptable.
Vous avez tenté de créer des centres de prévention. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné en France ?
J’ai lancé Auto Campus à Bondoufle, un centre où les conducteurs pouvaient volontairement tester leurs réflexes, comprendre les angles morts, etc. Les Japonais ont repris ce concept avec succès : ils ont 1 400 centres de ce type. Les gens viennent d’une façon volontaire, auditer leur vision, monter dans un camion où on leur explique les angles morts qui empêchent de voir le cycliste, le piéton… J’ai voulu vendre ce concept ici en France, on l’a supprimé. Les ministres ont dit : « Mais de quoi on se mêle ». Bref, ce n’était pas possible. Au Japon, ça marche, je ne vois pas pourquoi en France, ça ne marcherait pas. En Allemagne, il y a aussi des centres, peut-être moins élaborés, dont l’automobile-club ADAC se charge (et qui pèse aussi sur les réglementations).
Les règles de circulation en France sont-elles trop complexes ?
Les règles, aujourd’hui en France, bien malin celui qui dit « je les respecte et je les décrypte toutes ». C’est juste impossible. Je vais vous citer un nom, je me permets de le faire, j’en ai parlé avec Monsieur Bruno Le Maire qui est un ami, et qui m’avoue que tous les ans, il fait un stage de récupération de points qui ne sert à rien. Il me dit : « aujourd’hui, quand on conduit sur des routes qu’on n’a jamais empruntées, on est obligés de commettre des infractions ». C’est juste impossible de décrypter une règle qui est complètement ubuesque. Ceux qui conduisent un peu le savent très bien. Entre une réglementation incomprise, des systèmes qui ne marchent pas et des pouvoirs publics qui ont fait d’un mensonge une réalité, une vérité, comment voulez-vous qu’on avance ?
Comment faire cohabiter tous les usagers de la route ?
Tant qu’on ne déconnectera pas la sécurité routière du monde politique, on sera dans un système qui ne marche pas. Il faut remplacer la notion de « sécurité » par celle de « mobilité sereine et durable ». La sérénité, ce n’est pas une contrainte, c’est une posture personnelle, qu’on accepte ou pas. En France, on met tout le monde dans le même panier et on tape. Il faudrait des centres de compréhension, pas de répression, pour apprendre à évoluer dans un environnement complexe.
Pour vous, le partage de la route est-il le reflet de la société dans son ensemble ?
Pendant quinze ans, j’ai animé une chronique sur Radio France où je demandais aux auditeurs : « Ce matin, étiez-vous en retard ou en avance ? » Ceux qui étaient en retard voyaient tous les autres comme des « emmerdeurs ». Cela résume tout : on projette sur la route ce que l’on vit. Il faut un dialogue constructif entre pouvoirs publics et usagers, au-delà des postures politiciennes. J’ai créé Citoyens de la route il y a vingt-cinq ans, mais je n’ai pas su mobiliser assez. Je n’ai pas su motiver le public, y compris les pouvoirs publics, non pas pour se regrouper dans une organisation rebelle, mais une organisation qui permettrait un dialogue constructif et serein entre les pouvoirs publics et tous les acteurs de la route. Ce dialogue, c’est le reflet de ce qui va bien… ou mal dans une société.

